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Pour aider le Pakistan, l'Occident doit cesser de soutenir Musharraf

With Chris Patten and Joschka Fischer, Le Figaro, 12 November 2007


« Les États-Unis et les gouvernements de l'UE doivent s'accorder sur l'idée que le coup d'État ne doit pas durer. Des menaces de sanctions devraient être brandies. À moins que des élections ne soient annoncées »

En imposant la loi martiale au Pakistan, le général Pervez Musharraf évoquait les mesures d'Abraham Lincoln pour sauver les États-Unis pendant la guerre civile. La comparaison n'est pas appropriée. Lincoln se battait pour sauver son pays ; Musharraf s'accroche désespérément au pouvoir alors que le peuple réclame de plus en plus la démocratie.

La Constitution pakistanaise a des règles très précises concernant la déclaration de l'état d'urgence pour faire face à des menaces imminentes. Mais Musharraf, se comportant comme un chef militaire plus que comme un président, les a tout simplement transgressées. Imposer la loi martiale est un coup porté contre la Constitution par un homme qui se sent plus menacé par des élections que par des groupes djihadistes.

Les récentes violences étaient une excuse pour sa décision, pas une explication. Ses cibles indiquent clairement ses peurs réelles. La police a arrêté ou assigné à résidence des avocats, des hommes politiques laïques, des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme. Le lendemain du coup d'État, les militaires relâchaient dans le Sud-Waziristan 28 militants djihadistes reconnus coupables de terrorisme, en échange de soldats détenus : parmi eux, trois hommes arrêtés avec des gilets suicides.

Depuis 2001, Musharraf a utilisé la menace terroriste pour s'assurer un support international. Pour trop de gouvernements occidentaux, les quelques renseignements fournis et le soutien dans la lutte antiterroriste l'emportent sur les préoccupations démocratiques. Ils n'ont pas compris que la plus grande force contre l'extrémisme est un gouvernement, avec une légitimité qui ne vient que d'élections libres et équitables, qui applique l'autorité de la loi. La grande majorité des Pakistanais veut le respect de la loi, la paix, le progrès économique et ne veut rien avoir à faire avec les djihadistes. Un récent sondage a montré que trois quarts d'entre eux pensent que l'extrémisme est un problème. Le même nombre voulait que Musharraf - dont la cote de popularité est de 21 % - démissionne de son poste militaire.

Les gouvernements occidentaux doivent maintenant renoncer à leur « politique Musharraf » pour adopter une « politique Pakistan ». Les étapes clés pour relancer le pays sont l'annulation par Musharraf de son prétendu état d'urgence ; sa renonciation à son poste de chef de l'armée, comme il l'a promis pour le 15 novembre, quand une dérogation parlementaire spéciale l'autorisant à porter à la fois les casquettes civile et militaire expirera ou encore la nomination d'un gouvernement intérimaire dans l'attente d'élections prévues au début de l'année prochaine.

Des élections libres et équitables mettraient au pouvoir soit le Parti du peuple pakistanais de Benazir Bhutto, soit la Ligue musulmane pakistanaise de Sharif. Il ne devrait pas y avoir d'inquiétude au sujet du résultat puisque les deux sont modérés, et sont opposés à l'extrémisme. L'important est que le processus soit juste et les dirigeants, légitimes. Le Pakistan possède de nombreux attributs d'une réelle démocratie, y compris des tribunaux, des médias et une société civile de plus en plus indépendants, que Musharraf essaie d'étouffer.

Les États-Unis et les gouvernements européens doivent s'accorder sur l'idée que le coup d'État de Musharraf ne doit pas durer. Des menaces de sanctions devraient être brandies. À moins que Musharraf n'annonce des élections, l'aide militaire et le soutien autre que directement lié au contre-terrorisme devraient être suspendus. Les généraux importants et les officiels haut placés, tels que le premier ministre et son cabinet, devraient être soumis à des interdictions de voyager, de même que leurs familles.

Des restrictions sur de nouveaux contrats avec des entreprises dirigées par les militaires devraient être imposées et les programmes d'entraînement des officiers à l'étranger suspendus. Les gouvernements devraient aussi clairement affirmer que, pour aider l'avènement d'un Pakistan démocratique, ils sont prêts à étendre leur aide et à ouvrir leurs marchés.

La mise en place de sanctions de même que toute offre d'aide doivent être soutenues par la diplomatie, faisant ainsi passer à Musharraf un message direct et très clair de la part des dirigeants mondiaux : il se trouve sur la mauvaise voie. Ce message pourrait utilement évoquer une conclusion plus appropriée de l'expérience de Lincoln, son idée que « le sentiment public est tout. Avec le sentiment public, rien ne peut échouer ; sans lui, rien ne peut réussir. » Le peuple pakistanais veut non seulement la fin de l'extrémisme violent, mais aussi la démocratie. Et Musharraf ne doit pas se mettre en travers de leur route.

Chris Patten, Gareth Evans, et Joschka Fisher sont espectivement coprésident, président et membre du conseil d'administration de l'International Crisis Group ; www.crisisgroup.org